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Scores de risque génétiques et médecine de précision pour Parkinson

  • Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB)
    23 mai 2024
  • Catégorie
    Recherche
  • Thème
    Sciences de la vie & médecine

Une équipe interdisciplinaire du Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB) de l’Université du Luxembourg a établi qu’un ensemble de petites variations sur différents gènes régulant les mitochondries, un composant important des cellules humaines, est associé à un risque plus élevé pour la maladie de Parkinson. Pour la première fois, les chercheurs ont aussi observé une correspondance entre ces prédictions génétiques et les caractéristiques de modèles cellulaires : les cellules issues de patients ayant un score de risque polygénique élevé présentant un dysfonctionnement mitochondrial. En utilisant les données d’un essai clinique réalisé par des collaborateurs internationaux, ils ont également montré que les patients avec un score de risque élevé réagissaient mieux à un traitement ciblant les mitochondries. Ces résultats, récemment publiés dans Annals of Neurology, ouvrent la voie pour une meilleure conception des essais cliniques et auront un impact considérable sur la médecine de précision pour la maladie de Parkinson.

La maladie de Parkinson est le trouble neurodégénératif qui connaît la croissance la plus rapide, touchant environ 2 % de la population âgée de plus de 60 ans. Comprendre l’architecture génétique complexe de cette maladie reste encore un défi. Les formes familiales dues à une seule mutation représentent 5 à 10 % des cas mais des facteurs génétiques contribuent sans doute chez beaucoup d’autres patients. Des études suggèrent en effet qu’une combinaison de petites variations, appelées variants, sur plusieurs gènes pourrait constituer un facteur de risque pour la maladie. C’est pour explorer l’impact conjoint de ces variants, que la communauté scientifique a développé ces dernières années des approches basées sur des scores de risque polygéniques.

Le risque polygénique : mesurer l’effet conjoint de plusieurs variants génétiques

L’idée est d’estimer le risque associé à la somme des différents variants portés par un individu. « La plupart des variants courants ont peu ou pas d’effet mais, lorsqu’un variant est associé à plusieurs autres, ils peuvent ensemble avoir un impact, » explique Dr Patrick May, chercheur au Bioinformatics Core du LCSB. Il a dirigé l’analyse génétique pour cette étude avec Dr Zied Landoulsi qui poursuit : « Nous utilisons des méthodes statistiques et des études génétiques à grande échelle pour comprendre si chaque variant est lié à la maladie ou à un trait spécifique. En additionnant les effets estimés de ces petites modifications sur plusieurs gènes, nous pouvons calculer un score de risque et identifier les personnes ayant une probabilité plus élevée de développer la maladie de Parkinson. »

De plus, pour les maladies très hétérogènes, avec un large éventail de gènes et de mécanismes moléculaires impliqués, ce type d’approche pourrait être utile pour stratifier les patients, c’est-à-dire les diviser en différents groupes. Cela permettrait de mettre en place ce qu’on appelle la médecine de précision. Les patients présentant un score de risque polygénique élevé pour les gènes qui régulent une fonction biologique donnée pourraient par exemple mieux répondre aux traitements ciblant cette fonction-là.

Identifier les patients dont les mitochondries sont affectées

« Nous savons que les mitochondries, qui produisent l’énergie dont nos cellules ont besoin, jouent un rôle dans la maladie de Parkinson. Des études ont montré que leur dysfonctionnement peut intervenir très tôt et être impliqué dans le déclenchement de la maladie, » explique Prof. Anne Grünewald, responsable du groupe Molecular & Functional Neurobiology. « Nous avons donc travaillé sur l’hypothèse selon laquelle certains patients présenteraient une combinaison de variants au niveau de différents gènes mitochondriaux se trouvant dans le noyau des cellules, ce qui contribuerait chez eux au processus de neurodégénérescence. »

En analysant des données provenant de deux grandes cohortes très bien suivies, l’Étude luxembourgeoise sur la maladie de Parkinson et COURAGE-PD, les chercheurs ont calculé des scores de risque polygéniques spécifiques aux mitochondries pour plus de 14.000 patients et participants contrôles. Ils ont ainsi montré que la présence de multiples mutations au niveau des gènes régulant une fonction des mitochondries, à savoir la phosphorylation oxydative (OXPHOS), est significativement associée à la maladie. « Ces premiers résultats renforcent l’idée qu’une altération de la respiration mitochondriale est un facteur important pour la maladie de Parkinson, » explique Dr Giuseppe Arena, chercheur au sein du groupe Translational Neuroscience et l’un des premiers auteurs de cette étude. « Ils indiquent aussi que les scores de risque polygéniques constituent un outil utile pour stratifier génétiquement les patients, nous permettant d’identifier efficacement ceux qui présentent des altérations au niveau des mitochondries. »

Valider ces scores génétiques au laboratoire

Les chercheurs ont ensuite voulu déterminer si les scores de risque calculés correspondaient à des caractéristiques bien précises dans les cellules des patients. Ils ont donc réalisé plusieurs tests sur des cellules cutanées données par des participants de l’Étude luxembourgeoise sur la maladie de Parkinson et sur des cellules nerveuses obtenues en laboratoire à partir de ces échantillons de peau. Dans les deux cas, ils ont observé des différences significatives au niveau de la respiration mitochondriale entre les cellules des patients présentant des scores de risque élevés et faibles. « Notre étude valide, pour la première fois dans ce domaine, l’existence de profils cellulaires correspondant aux scores de risque génétiques, » souligne Dr Arena.

Et tester leur pertinence pour les essais cliniques

Dans la dernière partie de l’étude, l’équipe a cherché à savoir si l’utilisation des scores de risque polygéniques pour la stratification des patients pouvait aider à identifier les personnes répondant mieux aux traitements ciblant spécifiquement les mitochondries. À cette fin, les chercheurs ont rétrospectivement classé les participants d’un essai clinique britannique selon les mêmes scores de risque. Cet essai, dirigé par Prof. Bandmann de l’Université de Sheffield et Prof. Foltynie de l’University College de Londres, se concentrait sur un composé connu pour restaurer le bon fonctionnement des mitochondries. Les résultats ont montré que les patients présentant un score de risque élevé répondaient plus efficacement à ce traitement, corroborant le potentiel de cette approche de stratification génétique.

    « C’est vraiment encourageant de voir que l’utilisation de scores de risque spécifiques aux mitochondries permettra de sélectionner des groupes de patients plus homogènes pour des essais cliniques centrés sur les mitochondries, » souligne Prof. Anne Grünewald. « Il s’agit d’un nouvel outil précis pour identifier les patients qui bénéficieront le plus de thérapies ciblées. Par ailleurs, comme le dysfonctionnement des mitochondries est souvent associé à une apparition précoce de la maladie, les personnes présentant des scores très élevés pourraient à l’avenir bénéficier de traitements préventifs. »

    « Ces résultats constituent une étape importante pour la médecine de précision pour la maladie de Parkinson et sont particulièrement pertinents pour les chercheurs engagés dans le transfert de la recherche fondamentale vers des applications thérapeutiques concrètes, » conclut Prof. Rejko Krüger, responsable du groupe Translational Neuroscience et coordinateur du Centre national d’excellence pour la recherche sur la maladie de Parkinson. « Ce travail a été rendu possible par l’Étude luxembourgeoise sur la maladie de Parkinson dont la conception a permis un dépistage génétique mais aussi des analyses fonctionnelles sur des cellules provenant des mêmes patients. La stratégie de stratification basé sur ces scores de risque va ouvrir la voie à de nouvelles collaborations avec de partenaires qui souhaitent tester des composés ciblés pour ralentir la progression de la maladie. »

    Référence : Giuseppe Arena, Zied Landoulsi, Dajana Grossmann, Thomas Payne, Armelle Vitali, Sylvie Delcambre, Alexandre Baron, Paul Antony, Ibrahim Boussaad, Dheeraj Reddy Bobbili, Ashwin Ashok Kumar Sreelatha, Lukas Pavelka, Nico Diederich, Christine Klein, Philip Seibler, Enrico Glaab, Thomas Foltynie, Oliver Bandmann, Manu Sharma, Rejko Krüger, Patrick May and Anne Grünewald, Polygenic risk scores validated in patient-derived cells stratify for mitochondrial subtypes of Parkinson’s disease, Annals of Neurology, 20 May 2024.

    Référence de l’essai clinique : EudraCT no. 2018–001887-46

    Financement : Cette étude a été soutenue par le Luxembourg National research Fund (FNR) et la Fondation allemande pour la recherche (DFG).

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