A Luxembourg-Ville, les promeneurs ont sans doute constaté l’arrivée des stands de restauration et de vente d’objets religieux sur la place de la Constitution, au pied de la célèbre Gëlle Fra. Ces échoppes forment le Mäertchen, un marché dédié aux pèlerins de l’Octave organisé du 20 avril au 5 mai.
La professeure d’histoire moderne Monique Weis nous éclaire sur cette tradition.
L’Octave fête cette année ses 400 ans. D’où vient ce pèlerinage à Notre-Dame de Luxembourg ?
« Les premières traces de ce pèlerinage remontent en effet à 1624. A l’époque, les Jésuites s’étaient installés au Luxembourg, qui faisait alors partie des Pays-Bas espagnols. Dans le cadre de la Contre-Réforme catholique, ils promouvaient de nouvelles formes de vénération, notamment les pèlerinages mariaux. Le Père Jacques Broquart fit installer une statue en bois de la Vierge dans un contexte d’épidémies de peste. Il encouragea le pèlerinage à cette statue dite miraculeuse. Elle se trouvait dans une chapelle à hauteur de ce que nous connaissons aujourd’hui comme étant le Glacis. C’était le côté le plus vulnérable de la ville, car il était dépourvu de protections naturelles et les fortifications y étaient moins développées qu’ailleurs. Lors du pèlerinage annuel, qui se développa progressivement et prit le nom d’Octave, la statue était déplacée au centre de la ville, dans l’église des Jésuite qui est aujourd’hui la Cathédrale de Luxembourg. »

Statue de la Notre-Dame de Luxembourg © Archeveché de Luxembourg
Comment la tradition s’est-elle consolidée ?
« Des récits de miraculés ont commencé à se diffuser, notamment grâce au Livre des Miracles (1640) attribué à Broquard. Ces témoignages de guérison attirèrent des pèlerins du Luxembourg et de plus loin. Mais le pèlerinage à Notre-Dame de Luxembourg, la « Consolatrice des Affligés », devait aussi son succès au soutien des instances politiques. En 1666, la Vierge fut proclamée Sainte patronne de la Ville. Et en 1678, tout le duché de Luxembourg (et comté de Chiny) fut placé sous la protection de Notre-Dame de Luxembourg. »
Qu’est-ce qui distingue l’Octave d’autres pèlerinages ?
« C’est un pèlerinage qui est limité dans le temps. Comme son nom l’indique, l’Octave durait huit jours à l’origine. Elle s’étend désormais sur une quinzaine. La statue est présente toute l’année dans la Cathédrale Notre-Dame de Luxembourg mais son pèlerinage officiel a lieu entre la 3e et la 5e semaine après Pâques. Cette année, cela correspond à la période entre le 20 avril et le 5 mai. »
Aujourd’hui, d’où viennent les pèlerins de l’Octave ?
« C’est un pèlerinage national et régional. Il attire des pèlerins de tout le Grand-Duché et certains viennent d’ailleurs toujours à pied. Des groupes originaires du diocèse de Metz, du Sud de la Belgique et de la région de Bitbourg participent aussi à l’Octave. Cela s’explique entre autres par le fait que certaines de ces régions faisaient autrefois partie du duché de Luxembourg. Avec environ 80.000 participants, l’Octave représente le plus grand évènement religieux du Luxembourg. Des messes, prières, veillées, rencontres, etc. sont organisées pendant deux semaines. Mais le point d’orgue est sans conteste la procession finale. Son importance est évidemment tributaire du caractère temporaire de l’Octave. Le pèlerinage a une fin et c’est une apothéose à la fois solennelle et festive. La statue de la Vierge est portée à travers les rues de la capitale ; c’est un moment d’affirmation de la communauté catholique et de ses différentes composantes. »
Mais cette procession est aussi marquée par la présence de représentants de la maison grand-ducale, de la Ville de Luxembourg et d’autres institutions publiques. Pourquoi ?
« On peut considérer cela comme un vestige de l’imbrication entre politique et religion qui existait à l’époque de la création de l’Octave. Mais le pèlerinage a beaucoup évolué au courant de l’histoire. La fin du 18e siècle amena sa suppression et la destruction de la chapelle du Glacis. La tradition fut relancée sous Napoléon. Depuis le 19e siècle, la statue est conservée dans la cathédrale Notre-Dame de Luxembourg. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le pèlerinage était interdit. La statue devint alors un symbole de la résistance luxembourgeoise contre l’occupant. Une fois la guerre terminée, le pèlerinage connut un net regain. Dans beaucoup d’esprits, deux femmes ont protégé le Luxembourg pendant cette époque : la « Consolatrice des Affligés » et la Grande-Duchesse Charlotte. »
En 2021, vous avez publié une réflexion dans un blog de sciences des religions sur l’évolution de l’Octave dans le contexte de crise sanitaire où le pèlerinage était organisé en mode hybride. Qu’en est-il aujourd’hui ?
« En 2021, le thème de l’Octave était ‘Soudain, tout a changé’. Cette phrase de la Bible était bien choisie dans ce contexte très particulier et déstabilisant. La même année, une femme fut désignée comme prédicatrice officielle de l’Octave pour la première fois. Aujourd’hui, l’évènement est à nouveau organisé en présentiel, mais il reste un livestream qui constitue une sorte de reliquat du Covid. Le succès persistant des pèlerinages peut être attribué au fait qu’ils offrent une expérience à vivre, à la fois religieuse et profane, personnelle et collective. Cette réalité multidimensionnelle est difficile à transposer dans le monde virtuel. »

Photo en haut de la page : © SCP Gerard Kieffer