Comment les événements du monde réel influencent-ils le sentiment et le comportement des utilisateurs sur les médias sociaux ? Ces dernières années, TikTok a émergé comme une force significative dans les campagnes politiques, remodelant la façon dont les candidats influencent l’opinion publique. À l’approche des élections présidentielles américaines de 2024, les chercheurs du SnT ont étudié l’impact du retrait de Joe Biden de la course sur la plateforme de médias sociaux.
Un tournant pour le sentiment et l’engagement sur TikTok
L’étude, dirigée par Yuwei Chuai et Gabriele Lenzini, comprend un examen approfondi de 680.609 vidéos TikTok, totalisant plus de 4 milliards de vues, 23 millions de commentaires, 31 millions de partages et 335 millions de likes entre le 1er novembre 2023 et le 6 octobre 2024.
Ces vidéos comprenaient des contenus officiels de partis politiques ainsi que des contenus générés par des particuliers, où le candidat républicain ou démocrate était mentionné.
L’objectif de l’étude était de comprendre l’effet du retrait de Joe Biden des élections américaines de 2024 sur le sentiment des utilisateurs de TikTok. Le sentiment positif est basé sur la description de la vidéo et la transcription de la voix en texte, qui sont comprises dans la publication originale de la vidéo. Ce sentiment peut potentiellement influer sur les sentiments exprimés dans les commentaires, ce qui mérite d’être étudié plus en détail.
Avant que Joe Biden ne se retire de la course, les vidéos présentant le candidat républicain Donald Trump suscitaient un sentiment positif plus élevé et un sentiment négatif plus faible que celles présentant son adversaire démocrate. Mais le scénario s’est inversé de façon spectaculaire après le retrait de Joe Biden : « Le sentiment positif dans les messages vidéo présentant le candidat démocrate a augmenté de 46,8 % et le sentiment négatif a chuté de 52 % », a observé M. Chuai.

L’augmentation de l’engagement est particulièrement notable. Les vidéos mentionnant soit la candidate démocrate (Kamala Harris), soit le candidat républicain (Donald Trump) ont systématiquement suscité plus d’engagement, étant 53,3 % plus susceptibles d’être partagées et 77,4 % plus susceptibles d’être « likées ».
De la collecte de données aux stratégies de campagne virale
Les chercheurs ont mis au point une méthodologie rigoureuse pour collecter des données à partir de l’API ouverte de TikTok. Ils ont établi des requêtes de recherche pour sélectionner au hasard des vidéos mentionnant les candidats républicains ou démocrates et ont collecté les données à plusieurs reprises. Cette approche a permis de minimiser les biais et de garantir un échantillon représentatif du discours politique sur TikTok, en capturant un large éventail d’interactions et de réactions des utilisateurs pendant plus d’un an.
Toutefois, cette étude se concentre uniquement sur TikTok, dont l’API, ou interface officielle d’accès aux données, est ouverte aux scientifiques. Les résultats pourraient différer d’une plateforme en ligne à l’autre, ce qui souligne la nécessité pour un plus grand nombre de plateformes de médias sociaux de fournir des données accessibles à la recherche scientifique.
« La fermeture actuelle de certaines API est préoccupante », déclare Valérie Schafer, professeur au C²DH, spécialisée dans l’histoire de l’informatique, des télécommunications et des réseaux. Mme Schafer a dirigé un récent projet de recherche sur l’histoire de la viralité en ligne et a constaté que certaines analyses effectuées sur les médias sociaux (et notamment sur Twitter) ne seraient plus possibles aujourd’hui.
Elle souligne également le besoin d’études qualitatives, par exemple sur la créativité des utilisateurs. Mme Schafer fait référence aux réactions suscitées par la fausse déclaration de M. Trump lors du débat présidentiel organisé par ABC, selon laquelle les immigrés clandestins mangeaient les animaux domestiques. Cette allégation a déclenché une forte vague de réactions en ligne, de mèmes, de vidéos parodiques et de chansons.
« Cette campagne présidentielle renforce clairement la tendance existante des « fake news » et de la viralité. Il y a des éléments nouveaux et intéressants, comme la forte participation des influenceurs ou la diffusion en direct sur des plateformes comme Twitch. Les nouvelles technologies sont également de la partie : les deepfakes audio et visuels et le contenu généré par l’IA sont clairement présents dans la campagne », développe Mme. Schafer.
Après de nombreux rebondissements ces dernières semaines, l’issue de l’élection présidentielle américaine reste incertaine. La journée de mardi prochain permettra d’y voir plus clair.
À propos de l’équipe du SnT
Yuwei Chuai fait partie du groupe de recherche sur la cybersécurité sociotechnique (IRiSC) au SnT. Dirigé par Gabriele Lenzini, IRiSC intègre des méthodes issues des sciences sociales et de la conformité juridique à l’informatique pour mener des recherches sur la cybersécurité sociotechnique. Ce projet de recherche est soutenu par le Fonds national de la recherche luxembourgeois (FNR) et le Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS), dans le cadre du projet REgulatory Solutions to MitigatE DISinformation (REMEDIS).
À propos de l’équipe du C²DH
Valérie Schafer enseigne l’histoire européenne contemporaine (EIH) et responsable de ce domaine de recherche au C²DH depuis 2020. Entre 2021 et 2024, Valérie Schafer a dirigé le projet de recherche soutenu par le FNR « Une histoire de la viralité en ligne » (HIVI). Il vise à révéler et à historiciser le patrimoine des contenus viraux en ligne.