Si la coalition de gauche du Nouveau Front populaire a remporté les élections législatives anticipées en France le 7 juillet, l’extrême droite a néanmoins réalisé la percée la plus importante de son histoire. L’onde de choc qui a suivi les élections européennes du 9 juin n’a pas terminé de secouer le vieux continent. Le constat semble clair au sein des pays européens : l’extrême droite est la grande gagnante de ce scrutin. La France n’est pas un cas isolé. Les partis d’extrême droite ont remporté les élections européennes en Italie, en Autriche, en Hongrie et en Belgique. Comment l’Europe a-t-elle glissé vers cet extrême ? À l’Université du Luxembourg, des chercheurs se penchent sur cette question pour mieux comprendre le redécoupage en cours de la carte politique.
En 2019, alors que la crise sanitaire provoquée par l’émergence du COVID-19 éclate, les scientifiques décident d’observer les conséquences de la pandémie sur la société, l’économie, la politique et la santé mentale. À cette époque, Josip Glaurdić et Christophe Lesschaeve s’intéressent aux comportements électoraux et à la compétition politique au cours des trois dernières décennies dans les pays des balkans. La pandémie s’invite et de nouvelles interrogations surgissent : « La région qui nous intéressait était l’une des plus touchées par le Covid-19. L’Europe du Sud-Est avait les chiffres les plus sombres concernant la mortalité liée au coronavirus. Nous pensions que le problème était politique et avons abordé le phénomène en nous focalisant sur le nationalisme et le populisme, les deux idéologies qui dominent le paysage politique dans presque toute l’Europe actuellement. Nous avons donc mesuré l’adhérence des individus à ces visions idéologiques pour comprendre à quel point c’était ou non un facteur déterminant pour prédire la croyance aux théories du complot, envers la science, à la vaccination… », explique Josip Glaurdić. Le constat des chercheurs est sans appel : “Le nationalisme et le populisme prévalent sur toutes les autres explications du comportement et des croyances des individus liés à la pandémie, y compris l’éducation ». Il ajoute : « Gérer une pandémie n’est qu’un aspect de la société contemporaine, il y a aussi l’inégalité économique, la migration, … l’ampleur des clivages nationalistes et populistes dans ces domaines est tout simplement stupéfiante. La polarisation de la société est tout simplement folle ».
Économie, insécurité et repli identitaire
La société européenne a évolué et ses préoccupations autrefois économiques sont aujourd’hui de plus en plus liées à l’identité. « Il y a eu un glissement vers des questions plus culturelles au fil des dernières décennies. L’immigration est devenue le point central d’un nouveau récit. Les préférences de vote aujourd’hui sont davantage influencées par l’identité culturelle d’une société que par l’intérêt économique », remarque Christophe Lesschaeve.
Le succès récent des partis politiques conservateurs est également au cœur de plusieurs projets menés par Conchita d’Ambrosio avec Anthony Lepinteur et d’autres membres de son équipe de recherche. Elle s’est intéressée à l’impact de l’insécurité économique individuelle dans le choix de vote. « Nous avons démontré à quel point l’insécurité économique encourage l’activisme politique, mais d’un certain type : le soutien aux partis plus conservateurs et de droite », précise-t-elle avant d’ajouter : « Il semble que depuis les années 2000, l’insécurité économique compte davantage pour prédire les préférences politiques que par le passé ».
Ce sentiment grandissant d’insécurité mondiale alimentés entre autres par les préoccupations liées au chômage, à la numérisation, à l’intelligence artificielle, aux pandémies, aux conflits armés et à la crise s un nouveau programme de doctorat à l’Université du Luxembourg, cofinancé par le FNR. « Insecurity économique : Causes, Conséquences et Actions (EICCA) » financera 14 postes de doctorants en sciences sociales, en partenariat avec le LISER, et vise à fournir de nouvelles méthodes pour mesurer l’insécurité économique, comprendre ses origines et son impact, et évaluer les réponses politiques.
Des propos filtrés au filtre de bulles
Les partis d’extrême droite bénéficient d’une autre évolution, celle des médias. Les discours des leaders d’opinions autrefois analysés par des professionnels sont aujourd’hui diffusés quasiment sans contrôle sur les réseaux sociaux. « La diversité de l’information est remplacée par un algorithme personnalisé. Cela ne favorise pas la construction d’une opinion réfléchie, mais bien la création de filtre de bulles au sein de laquelle les croyances de l’utilisateurs se reproduisent majoritairement, ce qui renforce les avis uniques », décrit Raphael Kies, impliqué dans de l’étude Mediareform.lu qui tente de réévaluer la loi sur les médias électroniques au Luxembourg. Les partis politiques d’extrême droite ont bien compris l’intérêt de ses plateformes et « sont devenus des pros de la communication en quelques générations. Ils maîtrisent les codes et ont réussi à se rendre plus présentables, allant jusqu’à convaincre leurs opposants politiques de faire alliance avec eux », ajoute Christophe Lesschaeve.
Une agora pour la démocratie
À travers leur travail, les chercheurs d’Uni.lu révèlent à quel point la situation politique actuelle en Europe est un phénomène complexe aux multiples facettes. L’Université comme agora, lieu d’échange et d’éducation prend ici tout son sens. C’est pourquoi, « nous essayons d’aider les citoyens luxembourgeois à s’informer et comprendre les enjeux politiques grâce à l’application « smartwielen », raconte Kiess. « La démocratie est un éternel consensus qui nécessite une conversation et une délibération constante. Cela ne se limite aux périodes électorales. C’est là toute la plus-value d’une Université. Sans elle, la société serait beaucoup plus faible. Débattre et informer fait partie de notre mission », insiste Josip Glaurdić.
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