Ce que des centaines de biomolécules nous apprennent sur nos cellules nerveuses
Le cerveau des mammifères est une structure complexe, composée de régions interagissant entre elles et assurant des fonctions extrêmement spécialisées, telles que la cognition, les fonctions motrices, les émotions et le traitement des informations. Chaque région contient des millions, parfois même des milliards de neurones et de cellules gliales de différents types, comme des astrocytes, des oligodendrocytes et des cellules microgliales. Ensemble, ces cellules orchestrent les fonctions cérébrales. Pour fonctionner correctement, les connexions entre les différentes régions sont essentielles pour transmettre des informations spécifiques et déclencher certains comportements. Le nombre de connexions cellulaires entre les neurones d’un cerveau humain est estimé à plus de 100 billions. L’énorme complexité des éléments du cerveau nous oblige à étudier les processus pathologiques, comme ceux de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, dans le cerveau dans son ensemble, en utilisant des animaux modèles.
Les processus neurodégénératifs tels que ceux observés dans la maladie de Parkinson se caractérisent par des altérations pathologiques dans les cellules cérébrales, souvent localisées dans des zones spécifiques du cerveau : ces cellules perdent leur structure et leur fonction, et donc leur connectivité, un processus souvent accompagné de changements dans leur métabolisme. Jusqu’à présent, la plupart des scientifiques se concentraient sur un seul ou quelques-uns des aspects de la maladie afin de mieux décrire et comprendre les mécanismes sous-jacents.
Les chercheurs du Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB) de l’Université du Luxembourg ont récemment entrepris d’adopter une approche plus globale : ils ont analysé le métabolome, l’ensemble de centaines de petites biomolécules qu’on appelle les métabolites, produit par les cellules nerveuses dans différentes régions du cerveau de souris. Au cours de ce processus, ils ont étudié des cerveaux sains, mais aussi des cerveaux atteints de neurodégénérescence.
Capturer l’anatomie tridimensionnelle du cerveau est cruciale pour créer cet aperçu instantané de sa physiologie, ce qui exclut les expériences menées en culture cellulaire ou sur des organismes moins complexes, tels que la levure ou des nématodes. Chez l’Homme, de telles études ne peuvent être réalisées que sur des tissus post mortem de personnes ayant fait don de leur cerveau. L’étude des changements métaboliques dus à la neurodégénérescence au fil du temps, comme c’est le cas dans cette étude, ne serait pas possible. Le cerveau de la souris étant structurellement similaire à celui de l’humain, les chercheurs s’attendent à trouver des différences métaboliques similaires dans le cerveau de patients.
Les chercheurs ont disséqué des régions supérieures, moyennes et inférieures du cerveau de souris atteintes de différents stades de neurodégénérescence induite par l’injection d’une neurotoxine. Pour étudier les signatures métaboliques du cerveau, ils ont utilisé la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. Ces techniques de chimie analytique sont particulièrement adaptées à l’analyse d’échantillons provenant de tissus complexes et à la découverte de biomolécules connues et encore inconnues dans ces tissus.
Après avoir effectué ces mesures, les chercheurs ont utilisé une approche bioinformatique d’apprentissage automatique (Machine learning) pour établir le profil métabolique spécifiquement de chaque région du cerveau. Ils ont découvert que certaines combinaisons de molécules différentes reflètent des états fonctionnels spécifiques des cellules nerveuses dans chaque région du cerveau. En comparant leurs observations à l’analyse microscopique des processus pathologiques dans les cellules nerveuses, les chercheurs du LCSB ont pu montrer quel profil métabolique particulier est associé à la dégénérescence de ces cellules.
« Nos observations sont importantes, d’une part, pour ouvrir la voie à la découverte de nouvelles méthodes de diagnostic de la neurodégénérescence et, d’autre part, pour le développement de nouveaux médicaments destinés à lutter contre la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer », explique le Dr Manuel Buttini, responsable de l’étude de neuropathologie. « L’analyse des profils de métabolites plutôt que des changements cellulaires microscopiques ou des biomolécules individuelles peut permettre de mieux comprendre l’effet des nouvelles thérapies pour les maladies du cerveau. »
Cette étude a bénéficié des efforts conjoints d’experts de domaines très différents : la neurobiologie de la souris, la biochimie, la biologie moléculaire et la bio-informatique se sont unies pour permettre de mener cette étude. Elle a été publiée dans l’American Journal of Pathology.La plateforme de neuropathologie du LCSB travaille en étroite collaboration avec la plateforme des rongeurs. Ensemble, elles apportent leur expertise pour étudier les changements pathologiques aux niveaux macroscopique, microscopique et moléculaire dans les modèles murins de la maladie de Parkinson et de la maladie d’Alzheimer.