Résumé
Le “style des arrêts” en matière civile est, depuis toujours, un sujet au centre de la réflexion comparatiste. D’abord, le mode de rédaction des arrêts dans les différents systèmes juridiques s’avère un élément incontournable de leur interprétation. Il permet d’en tirer la ratio decidendi, d’apprécier leur rôle de « précédents » et leur rapport avec d’autres « précédents ». Ensuite, le style des arrêts se révèle être plus généralement un instrument d’observation privilégié du phénomène juridique dans son ensemble, car il permet de saisir les traits principaux du rapport entre droit législatif et droit jurisprudentiel et, en définitive, la conception du droit retenue par un système juridique.
Annoncée en avril 2019 et déjà en vigueur, la récente décision de la Cour de cassation française de réformer son style judiciaire, en abandonnant notamment la « phrase unique », mérite d’être examinée avec attention, surtout si l’on considère que le style de rédaction est resté stable pendant plus de deux siècles et qu’il présente des caractères en quelque sorte uniques dans l’expérience de la tradition juridique civiliste.
L’exposé sera divisé en deux parties.
Après un bref aperçu historique et comparatif des origines du style judiciaire de la Cour de cassation française, on se penchera sur ses récentes modifications. Les premiers commentaires à leur propos les ont saluées comme une authentique révolution. Avec la suppression des « attendus que » une entière tradition disparaitrait, caractérisée par la concision du style et par une motivation limitée à l’énonciation de la règle de droit. La « fin d’un monde », a-t-on pu écrire. En réalité, comme on tentera de le mettre en relief, la réforme ne semble pas affecter en profondeur les caractéristiques essentielles du style traditionnel.
On s’interrogera donc, dans un second temps, sur le rôle de la jurisprudence comme source normative dans la tradition juridique civiliste. En effet, le style des arrêts est profondément lié à une conception du droit qui continue à être ancrée dans sa dimension législative, méconnaissant la dichotomie (et l’autonomie) existant entre droit écrit (les lois) et droit « non écrit » (la jurisprudence), qui caractérise la tradition de common law.
Biographie
Ermanno Calzolaio est professeur de Systèmes Juridiques Comparés et de Droit Privé Comparé à l’Université de Macerata (Italie). Doyen de la Faculté de Droit de 2012 à 2018, il est maintenant le responsable du projet « Départements d’Excellence » financé par le Ministère de l’Enseignement supérieur italien relatif aux rapports entre droit et nouvelles technologies. Auteur de nombreuses publications, il est professeur invité dans plusieurs Universités (Faculté de Droit d’Orléans, Shanghai University of Political Sciences and Law, Beijing Normal University). Il est membre de l’Académie Internationale de Droit Comparé et de l’Association Italienne de Droit Comparé. Ses recherches ont pour objet le rôle de la jurisprudence dans la comparaison civil law/common law, le droit des contrats, la propriété et le droit des successions.