Le livre Global Mega-Science : Universities, Research Collaborations, and Knowledge Production, édité par les Profs. Justin JW Powell de l’Université du Luxembourg et David P. Baker de l’Université d’État de Pennsylvanie, explore la manière dont la recherche scientifique mondiale, menée par les universités et les projets coopératifs, façonne profondément notre monde.
Les résultats sont clairs : les avancées scientifiques ne permettent pas seulement des percées en médecine, en technologie et en durabilité environnementale, mais influencent également les politiques qui améliorent la santé publique, l’éducation et le bien-être social. L’ouvrage montre comment les universités propulsé le progrès scientifique à travers les décennies, soutenu par l’essor continu de l’éducation. Alors que nous sommes confrontés à des défis mondiaux inédits, la compréhension de l’évolution de la science et de sa relation avec l’éducation nous permet d’exploiter son potentiel de transformation pour un avenir meilleur.
Nous revenons sur les principales conclusions avec les auteurs David P. Baker et Justin J.W. Powell.
Qu’entendez-vous par « mégascience » et quelles sont les principales notions à retenir ?
Baker et Powell : La mégascience fait référence à la croissance exponentielle des publications scientifiques, en particulier depuis le milieu du 20e siècle, ainsi qu’aux projets de recherche scientifique de grande envergure qui nécessitent des investissements substantiels et une collaboration entre plusieurs institutions et pays. Prenez par exemple des projets comme le Grand collisionneur de hadrons (CERN), le projet Génome humain ou le projet d’astrophysique IceCube. Ces projets visent à relever des défis scientifiques d’envergure et à repousser les limites de nos connaissances et de notre technologie.
Les principaux enseignements à en tirer sont l’ampleur et la nécessité du travail collaboratif à échelle internationale, les investissements financiers et infrastructurels importants et à long terme nécessaires, et l’impact profond de ces projets sur le progrès scientifique et la résolution de problèmes mondiaux tels que le changement climatique et la santé. Comme par exemple les vaccins COVID-19, qui ont été mis au point en un temps record, mais sur la base de décennies de recherche fondamentale révolutionnaire
L’analyse des informations bibliométriques de plus d’un siècle de publications scientifiques a permis de dresser une carte détaillée du parcours menant à la mégascience. Pouvez-vous nous donner un aperçu de cette carte ?
Baker & Powell : Absolument. Nous avons pu retracer la croissance et l’évolution incroyables et soutenues de la mégascience, qui est devenue un phénomène véritablement mondial.
L’une des principales constatations est l’augmentation exponentielle des publications scientifiques, en considérant que les chercheurs universitaires contribuent à 80-90 % des plus de 3 millions d’articles publiés chaque année. Nous avons également observé une augmentation considérable aux collaborations internationales et interdisciplinaires. Cependant, il existe des disparités notables en matière de financement, les universités étant souvent sous-financées en dépit de leur contribution substantielle à la production scientifique.
Quels défis réels pour la science mondiale identifiez-vous, ceux auxquels les institutions et les pays doivent se préparer ?
Baker & Powell : La science mondiale est confrontée aujourd’hui à plusieurs défis. L’un d’entre eux est le sous-financement chronique des universités, même si au Luxembourg, nous sommes en mesure de continuer à développer nos programmes de recherche et d’enseignement.
Il y a aussi la concurrence mondiale croissante pour les talents et les ressources scientifiques, qui peut créer des disparités dans la production scientifique et l’innovation. Un autre défi est le volume et la diversité des publications scientifiques, qui rendent difficile l’absorption et l’utilisation efficaces des nouvelles connaissances : dans ce domaine, l’on suit avec intérêt les capacités de reproduction, traduction et synthèse de la part d’outils d’intelligence artificielle de plus en plus performants. Le multilinguisme et le recrutement international implantés au Luxembourg sont des avantages à l’ère de la collaboration scientifique mondiale.
L’engagement du public est également crucial ; la science doit être plus accessible et plus pertinente pour le public, ce qui nécessite des efforts en matière de sensibilisation et de communication. Enfin, il est essentiel d’améliorer les capacités scientifiques des régions dont les infrastructures de recherche sont moins développées. Si la collaboration est la clé du progrès scientifique, les réseaux devraient s’étendre à l’ensemble du globe et ne pas se limiter à quelques pays et communautés scientifiques.
Pour comprendre l’évolution de la science à travers le monde et les décennies, il faut tenir compte du changement culturel qui a accompagné la révolution de l’éducation. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Baker & Powell : L’expansion massive de l’enseignement supérieur a permis de constituer un vivier scientifique grandissant. Le modèle dit humboldtien, qui intègre la recherche et l’enseignement dans les universités, a été adopté et adapté dans le monde entier, créant des environnements où l’éducation et la recherche scientifique prospèrent ensemble.
Cette évolution a facilité la mondialisation de la science. Au fil du temps, de plus en plus de pays ont investi dans l’enseignement supérieur et la recherche, ce qui a conduit à une communauté scientifique plus interconnectée et plus collaborative.
Les universités européennes de la fin du XIXe siècle ont lancé ce concept et ont ensuite tiré parti des fruits de ces collaborations. Par exemple, les universités européennes ont joué un rôle central à deux reprises. D’abord à la fin du 19e siècle, en soutenant la croissance des universités qui combinaient les missions d’enseignement et de recherche. Puis, à partir de 1980, elles sont devenues le deuxième pôle mondial facilitant les collaborations scientifiques internationales et elles ont dépassé les États-Unis en termes de publication d’articles de recherche scientifique.
Comment les universités vont-elles évoluer dans cette dynamique ? Comment l’équilibre entre l’éducation et la recherche va-t-il évoluer ?
Baker & Powell : Les universités devront trouver un équilibre entre leurs responsabilités éducatives et leurs activités de recherche.
Cela signifie qu’elles devront veiller à ce que ces deux domaines bénéficient d’un soutien adéquat. La sensibilisation du public et l’apprentissage tout au long de la vie deviennent de plus en plus importants, et la science doit également s’efforcer de devenir plus accessible à un large public. Faciliter le financement pour les projets de recherche collaborative (tels que les nombreux instruments de financement de la recherche dans l’Union européenne) peut considérablement renforcer la capacité de recherche et d’innovation des pays, des régions et du monde.
Global Mega-Science : Universities, Research Collaborations, and Knowledge Production peut être acheté sur le site internet de Stanford University Press.